Ousmane Maïga, dit "Rougeot", faisait souvent l'aller-retour entre Gao, grande ville du nord du Mali, et Bamako. "Ça prenait 48 heures, parfois même seulement 24 heures". Mais depuis fin 2018, il ne prend plus la route: trop chère, trop longue, et surtout trop dangereuse.
Aujourd'hui, il faut "au moins cinq jours" pour relier les villes du nord à Bamako "et la route est tellement +gâtée+ que la plupart des gens passent par le Burkina et le Niger, où il faut payer les taxes en plus", souligne "Rougeot", un membre en vue de la société civile de Gao.
Dans cette ville, la plus importante du nord du Mali, plusieurs milliers de personnes ont manifesté mercredi pour protester contre "la situation fracassante et lamentable du niveau de dégradation de l'axe Gao-Sévaré (centre)", selon un communiqué de la "Plateforme ensemble pour Gao".
Cette route, "c'est le parcours du combattant, il n'y a aucun véhicule qui roule à plus de 40 km/h, sinon 20 km/h, avec la poussière, la chaleur et maintenant l'insécurité", explique l'activiste de 43 ans.
"Nous allons rester devant le gouvernorat jusqu'à la satisfaction de notre revendication", a déclaré à l'AFP le porte-parole de la plateforme, Hamadoun Tourè.
- Un affront pour le nord -
Aux attaques des jihadistes et des bandits, il faut ajouter les dégâts occasionnés par les intempéries, l'absence des services de l'Etat et, selon de nombreux Maliens, une corruption généralisée.
A l'autre bout du pays, dans la région de Kayes (sud-ouest), les habitants ont remporté fin août une victoire symbolique. Pendant plusieurs jours, ils ont bloqué le principal pont de la ville, interrompant le transit de milliers de camions vers le Sénégal, essentiel pour l'économie du pays, tandis que d'autres manifestants montaient des barrages à l'entrée de Bamako.
Après avoir effectué le trajet de Kayes en voiture, le Premier ministre Boubou Cissé a dégagé des moyens d'urgence et promis la reprise rapide des travaux.
Dans le nord, où le sentiment d'être délaissé par Bamako reste très présent, cet empressement a été ressenti comme un affront.
A Tombouctou, mythique "ville au 333 saints", une délégation gouvernementale dépêchée mercredi a signé un "protocole d'entente" avec le collectif "Tombouctou réclame ses droits", ce qui a permis de lever les barrages qui empêchaient depuis quatre jours l'accès à l'aéroport.
En présence d'observateurs de la mission de l'ONU au Mali (Minusma) et de dignitaires religieux, le gouvernement s'est engagé à reprendre "au plus tard le 25 novembre" les travaux sur la route permettant de relier la région de Tombouctou au sud du pays en passant par Niafunké et Léré, interrompus en raison de l'insécurité,
- Une route du temps des colons -
Après Tombouctou, la délégation ministérielle doit se rendre à Gao, ainsi qu'à Ménaka (nord-est), près de la frontière avec le Niger, où un collectif s'est aussi formé et mène un sit-in depuis lundi avec des revendications similaires.
"On nous a toujours dit que le financement de la route allait venir, mais jusqu'à présent il n'y a rien. Cette route date du temps des colons et n'est même pas bitumée", proteste Harouna Ibatane Yattara, membre du mouvement "Algafiat i Minika", "La paix pour Ménaka".
Outre une nouvelle route, les habitants de Ménaka réclament "la fin des assassinats, des braquages, des tirs" dans leur région, où continue à sévir le groupe jihadiste se faisant appeler "Etat islamique dans le Grand Sahara" (EIGS).
Selon les données officielles, sur les 21.681 km de routes recensés au Mali en 2018, seuls 7.156 km étaient goudronnées.
Le nord du Mali est tombé en mars-avril 2012 sous la coupe de groupes jihadistes liés à Al-Qaïda, à la faveur de la déroute de l'armée face à la rébellion à dominante touareg, d'abord alliée à ces groupes qui l'ont ensuite évincée.
Les jihadistes ont été en grande partie chassés ou dispersés à la suite du lancement en janvier 2013, à l'initiative de la France, d'une intervention militaire, qui se poursuit actuellement. Cependant, les violences jihadistes ont persisté, puis se sont propagées du nord vers le centre et le sud du Mali, puis au Burkina Faso et au Niger voisins, se mêlant souvent à des conflits intercommunautaires qui ont fait des centaines de morts.
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